MOZART DE RETOUR A RENNES !
Cela se passait il y a 260 ans …
Rennes église Saint-Martin 1er janvier 2024 : Je venais de donner le choral « la vieille année s’en est allée » de J.S. Bach que j’affectionne de jouer à ce moment de l’année. Sortant de l’église par le cloitre du côté, j’aperçois un homme sans âge mais plutôt adulte en costume baroque. Il descend de son scooter, s’approche de moi et se présente comme étant Mozart. Moi, l’organiste du lieu entre immédiatement dans l’histoire de cet homme sans aucune autre espèce d’éclair de lucidité et réalisme ; je suis éberlué, j’ai devant moi un revenant de génie !. Mozart m’interpelle en me disant être à la recherche de l’ancien orgue de la chapelle de Versailles, lui qui l’avait joué devant Louis XV le 1er janvier 1764 ; un ami lui a dit qu’il se trouvait ici.
Je lui réponds que c’est exact, que nous possédons de la partie instrumentale de l’orgue les sommiers et une centaine de tuyaux d’origine Clicquot; la partie architecturale étant restée à la Chapelle du château de Versailles.
Il me demande si par hasard, il reste des tuyaux qu’il a fait vibrer devant Louis XV lors de sa mémorable visite un certain 1er janvier 1764 ;
Je lui dis que oui et l’invite à me suivre pour découvrir l’histoire de la transformation de l’orgue plus de 260 ans après. Mozart a en tête ce moment particulier où avec son père, effectuant une tournée des cours royales d’Europe, il est amené à rencontrer la prestigieuse cour de Versailles, le Roi de France et sa famille. ….
Mozart à l’orgue de la chapelle du château de Versailles le 1ier janvier 1764
Il est à Paris depuis fin novembre 1763 avec son père Léopold, sa mère Anna-Maria Pertl et sa sœur Marianne dite Nannerl. Il n’a pas encore 8 ans. C’est un enfant de son âge ; il aime jouer, il est espiègle voire diablotin ; il adore ses parents, il recherche le contact et la reconnaissance, il est déjà très sociable, sûr de son talent aussi. Nannerl est très habile au clavier mais Johannes Chrysostomus Wolfgang Gottlieb attire tous les regards tant son jeu est un feu d’artifice de notes et de sonorités. Celui qu’on nommera plus tard Wolfgang Amadeus Mozart est un enfant surdoué qui joue, qui improvise avec naturel, sans peine et sans fatigue apparente. Le clavier lui permetde se défouler(avec éclat pour ses auditeurs) pendant que ses camarades font à ce même âge beaucoup de sport et de jeux d’extérieur.
Le Voyage de Mozart à Paris
La tournée des capitales européennes que son père lui fait faire vise à faire connaître cet enfant qui jongle avec les notes, promène ses petits doigts avec agilité, vélocité et intelligence sur tous les claviers qui se présentent à lui. Elle a aussi pour objectif de permettre au jeune Mozart de découvrir les partitions d’Europe, les musiciens en cour mais aussi de se faire repérer des plus grands de ce monde de la deuxième moitié du XVIII ème siècle afin de lui assurer plus tard une carrière et des revenus. N’étant attendu de personne, Léopold cherchait ses entrées en s’appuyant sur son réseau de connaissances, en forçant ici ou là les portes pour « montrer et promouvoir» les talents de ses enfants. Les écrits et les gravures de l’époque témoignent de l’engouement du tout Paris pour ce petit bonhomme si doué en choses musicales ; il subjugue à ce moment de sa vie le public d’Europe, Paris compris, ce qui ne sera plus le cas quelques années plus tard.
L’enfant prodige …
Woferl- c’est ainsi qu’était surnommé Mozart tout petit- du haut de ses 7 ans à la fin de cette année 1763 a déjà joué de l’orgue. A plusieurs reprises, il a fait l’admiration de ses auditeurs (notamment des moines du couvent des franciscains rencontrés à Ybbs, pendant leur voyage de Salzbourg à Vienne en 1762).Son père n’en revenait pas de voir comment son tout petit enfant semblait à l’aise à l’orgue de l’église de Wasserbourg, premier relais en Allemagne de leur long voyage à travers l’Europe. Il était debout sur le pédalier de l’instrument, pour cause de trop petites jambes en position assise, utilisant déjà tous les registres et claviers de l’orgue pour s’amuser, aussi bien que rechercher et étudier des sonorités, des combinaisons d’accords. Sa soif de savoir et de découvrir est immense. Mozart a très peu écrit pour l’orgue ; il reconnaissait pourtant que c’était le roi des instruments ; peut-être avait-il considéré que J.S.Bach dont il découvre les partitions dans les années 1780, avait tout écrit et qu’il avait, lui, Mozart, d’autres instruments et genres musicaux à explorer. L’été 1763, poursuivant le voyage en Europe, à Mannheim, les biographes notent que Wolfgang fait sensation en jouant de l’orgue.
Ce 1ier janvier 1764, il joue à Versailles un instrument en parfait état ; quatre mois plus tôt, le 9 septembre 1763, les organistes Daquin, Paulin, Foucquet et Marchand effectuaient avec grande satisfaction la réception des travaux de relevage de l’orgue réalisés par François-Henri Clicquot.
… aux claviers d’un orgue restauré
Ce jour là, devant le Roi Louis XV, sa famille et la cour, Mozart va, pendant une heure, mettre en pleine valeur l’instrument et son talent d’organiste et d’improvisateur. Pour Léopold, son père, ce temps de réception à la cour de Versailles, haut lieu du pouvoir royal, représentait un événement capital.Aucune trace d’archives ne permet de savoir ce qu’il a joué ; du reste, ce moment n’est pas répertorié comme un concert. Est-ce le Mozart de la flûte enchantée ou le Mozart du requiem, le Mozart des symphonies ou le Mozart de la petite musique de nuit qui se dévoile ce premier jour de l’année 1764 ? Sans doute avait-il dans les doigts, les mesures des quatre sonates (ses deux premières œuvres gravées K6 à K9) qu’il va éditer à Paris, dédier et offrir à la fille du Roi, Victoire de France et à la Comtesse de Tessé, dame de compagnie de la Dauphine. L’adagio du K7 devait sans nul doute merveilleusement sonner à l’orgue de la chapelle ? Cette même année. Sans doute aussi, s’est-il inspiré pour broder avec son génie en plein devenir, des motets qu’il avait eu tout loisir d’entendre en fréquentant les jours précédents avec sa famille, les offices de Noël de la chapelle dominés par la liturgie de la Nativité. Son père disait que les chœurs (pas les voix seules aux airs « vides, glacés et misérables ») étaient « bons et même excellents ». Les motets de Blanchard étaient à l’honneur à l’époque. Mozart pensait-il en cherchant ses combinaisons de jeux d’orgue, au deuil qui frappait le roi Louis XV qui venait de perdre sa petite-fille ? Cet événement l’avait conduit, lui aussi, à porter si jeune des vêtements de deuil. Probablement aussi Mozart était-il imprégné de religieux, dans cet endroit prestigieux qu’est la chapelle de Versailles et un tant soit peu impressionné d’être aux claviers de l’orgue Clicquot que Louis XIV avait commandé au début de ce siècle.
Le jeune Mozart, délaissant les exercices de style et le brillant qu’il savait parfaitement manier déjà quand il voulait séduire, charmer et obtenir les acclamations du public, a dû laisser entrevoir le génie créateur et la densité musicale qui étaient en lui et qui n’allaient cesser dès lors de s’épanouir pour produire quelques années plus tard, les pages sublimes que nous lui connaissons aujourd’hui.
1er janvier 2024 : A la recherche de l’instrument de la chapelle …
Mozart est assis devant l’orgue, les quatre claviers ornés des fleurs de lys encastrés dans le magnifique buffet de Jules Hardouin-Mansart, terminé par Robert de Cotte. Le Buffet (partie architecturale d’un orgue), classé Monument Historique est quasi-intact et trône toujours 260 ans plus tard à la tribune des musiciens de la chapelle du château de Versailles.
Le fond de la fenêtre des claviers qui permettait de cacher les mécaniques de transmission et vergettes d’appel des soupapes n’est plus là mais serait détenu par un collectionneur « quelque part dans le monde ». La dernière trace de sa subsistance remonte à 1919. Un panneau en trompe-l’œil a été installé dans l’attente d’un retour possible de l’original.
Seuls deux claviers au châssis plaqué de bois de rose semé de fleurs de lys et cerné de filets d’ivoire, sur lesquels Mozart a joué, demeurent. Ils ont été déposés et reposés aujourd’hui sur l’orgue du Dauphin, visible à ce jour dans une des salles du château.
Les sommiers de l’instrument que découvre Mozart sont encore aujourd’hui en parfait état de fonctionnement sur l’orgue de Saint-Martin de Rennes. Ce sont les sommiers Clicquot d’origine Grand-orgue/Positif et pédalier en bois massif de chêne avec gravures intercalées permettant de loger l’ensemble des jeux dans l’intérieur du Buffet pourtant si étroit et ainsi ne pas avoir un Positif de dos. Ils avaient été conservés, refaits et réinstallés par Cavaillé-Coll en 1873 sur l’instrument de la chapelle.
L’orgue restauré en 1763 par François-Henri Clicquot, fils et petit-fils de Louis-Alexandre et Robert les facteurs d’orgue du Roi qui eurent à livrer (en 1711) et à restaurer (en 1736), cet instrument royal que découvre Mozart, comprend à peine 30 jeux ; 13 au Grand-orgue, 9 au Positif, 2 au Récit, 1 à l’Echo et 3 au pédalier.
Le jeune organiste de Salzbourg dont on sait qu’il n’aimait pas l’instrument de trompette a-t-il boudé les anches de cet orgue ? On l’imagine pourtant aisément s’amuser avec les sonorités du cromorne clinquant que F.H.Clicquot avait relangueyé quelques mois auparavant. Le doute subsiste encore aujourd’hui de savoir si les anches Clicquot ont définitivement disparu, ou bien été fondues ou bien encore été reposées sur tel instrument ancien dont on aurait chercher à retrouver les sonorités d’Antan ?
… au prix d’une union de Versailles et de la Bretagne
De tous ces jeux dont notre jeune prodige a dû se délecter en les tirant seul ou en combinaison, il ne reste dorénavant que :
4 rangs du plein jeu réinstallés sur l’orgue Boisseau-Cattiaux actuel de la chapelle,
La doublette, qui attend dans un placard du château que des techniques de restauration plus performantes lui permettent de revivre,
51 très beaux tuyaux Clicquot en bois de chêne répartis sur la soubasse de 16, le bourdon de 8 et les flûtes de 8 et 4 ; ils chantent au XXI ème siècle sur l’orgue de Saint-Martin de Rennes.
260 ans plus tard, ce n’est pas sans émotion que nous partageons avec Mozart, le bonheur de faire chanter à Saint-Martin de Rennes, les sommiers et une petite centaine de tuyaux anciens de l’orgue Clicquot de la Chapelle du château de Versailles.
Cet instrument de l’église Saint-Martin de Rennes qui porte la signature Cavaillé-Coll (150 ans ; 1873-2023) est inscrit au titre des Monuments Historiques depuis le 10 novembre 2023.
Alain Gillouard organiste titulaire de l’orgue de l’église Saint-Martin de Rennes. Janvier 2024.
[1] Raphaël Masson : « le premier voyage de Mozart à Versailles ». Château de Versailles ; de l’ancien régime à nos jours. N°8 ; janv-fév-mars 2013. [2] Alain Gillouard et Alain Léon ; « les sommiers du Roy sont à Rennes ». FFAO, L’Orgue Francophone N°43 septembre 2011. [3] Alexandre Maral ; « la chapelle royale de Versailles sous Louis XIV : cérémonial, liturgie et musique ». 2010. [4] Alain Gillouard ; « de la chapelle du Château de Versailles à l’église Saint-Martin de Rennes : itinéraire d’un orgue célèbre ». FFAO, l’Orgue Francophone N24-25 octobre/décembre 1998. [5] Plaquette d’inauguration de l’orgue Boisseau-Cattiaux de la chapelle du château de Versailles ; 1995. [6] Pierre Dumoulin ; orgues de l’Ile de France ; Tome 1 ; 1988. [7] Norbert Dufourcq ; « Les Monuments Historiques au service des Orgues de France » ; bulletin trimestriel N°2-3 avril-septembre 1962. [8] Victor Wilder : « Mozart, l’homme et l’artiste, histoire de sa vie d’après les documents authentiques et les travaux les plus récents ». Deuxième édition Paris 1885.
[9]Bertrand Cattiaux :« La dynastie des Clicquot » N°6 Orgues Nouvelles, 2010.
[10]Alain Gillouard : « Jeune talent ; Wolfgang à Versailles » Orgues Nouvelles N°23 Hiver 2014.
[11] Alain Gillouard : «Histoire d’un orgue d’origine royale » revue de l’Ordre National du Mérite 35 Le Ruban bleu n°42 Décembre 2023